La démocratie a perdu deux batailles: au Mali puis en Guinée-Bissau. Mais elle n’a pas perdu la guerre et reste la seule voie d’avenir pour le continent, comme l’a démontré si brillamment le Sénégal.
Vents mauvais sur la démocratie en Afrique. Au Mali, des militaires mutins vite transformés en putschistes en goguettes ont renversé un symbole (même imparfait) de la démocratie africaine : Amadou Toumani Touré (ATT).
Un putsch
juste avant la fin du deuxième et dernier mandat d’un ancien militaire
démocratiquement élu: les putschistes n’ont pas eu peur du ridicule…
Le ridicule,
justement, ne tue pas et se propage même très vite puisque quelques jours plus
tard, des hommes en kaki interrompaient un paisible processus électoral en
Guinée-Bissau en prenant le pouvoir dans l’entre-deux-tours de la
présidentielle.
Comme si
l’ancienne colonie portugaise, devenu ces dernières années le premier
narco-Etat africain en plus d’être un des pays les plus pauvres du monde, avait
besoin de cela.
Acquis démocratiques
Faut-il
alors désespérer de la démocratie en Afrique, deux décennies après la grande
vague de démocratisation du début des années 90 et un an après les
« révolutions arabes »? La Kalashnikov sera-t-elle toujours plus
forte que le bulletin de vote sur le continent de Nelson Mandela?
Les vents
contraires, venus de Bamako et de Bissau, ne doivent pas faire oublier les
acquis démocratiques d’un continent en pleine ébullition, portée par une
robuste croissance économique, qui a favorisé l’émergence d’un classe moyenne
forte de dizaines de millions de citoyens responsables.
Aucune digue
idéologique, aucun caporal énervé, ne peut durablement stopper l’aspiration
d’un milliard d’Africains vers plus de liberté. La démocratie africaine est
aussi puissante que le fleuve Congo.
Aucun régime
ne peut brouiller longtemps les radios, télévisions, les sites internet qui
informent l’Afrique de la marche du monde, de la lutte des peuples arabes,
notamment en Syrie.
Si la
« Révolution du jasmin » tunisienne n’a pas encore traversé le
Sahara, les progressistes ont bien « secoué le cocotier » en Ouganda,
au Burkina Faso et dans d’autres pays. Même si les cinq « dinosaures
africains », au pouvoir depuis un quart de siècle, sont toujours aux manettes.
Alors, où se
cachent les démocrates africains? Un peu partout sur le continent, mais les
trains qui arrivent à l’heure marquent moins les esprits que ceux qui
déraillent.
Au Malawi
par exemple, la vice-présidente Joyce Banda a été investie présidente après le
décès début avril du chef de l’Etat Bingu wa Mutarika. Ce n’était pas gagné
d’avance car elle avait été exclue du parti au pouvoir il y a deux et était
passée dans l’opposition.
Mais la
Constitution a été respectée et Joyce a eu la joie de devenir la première femme
à accéder à la magistrature suprême en Afrique australe. Pas mal non ?
Et qui se
souvient que l’opposant Mahamadou Issoufou a été élu en mars 2011 à la
présidence au Niger à l’issue d’un scrutin exemplaire? Même situation au
Cap-Vert, où l’opposant Jorge Carlos Fonseca est entré au palais présidentiel
par la voie des urnes et pas juché sur un char.
Miracle sénégalais
Prenons
alors le cas, beaucoup plus médiatisé, du Sénégal. Sous forte pression
internationale, Abdoulaye Wade a sauvé in-extremis sa place dans l’Histoire en
reconnaissant en mars la victoire de Macky Sall, son ancien Premier ministre
devenu opposant.
Mais plus
que la victoire de «Macky », dont l’opposition à Wade ne remonte
qu’à 2008, c’est bien la victoire du peuple sénégalais qui a été saluée dans le
monde entier. Quelle est donc la recette du « miracle sénégalais »?
Avant tout, la
force de la société civile. Un ensemble composite formé de journalistes, ONG, fonctionnaires,
chefs d’entreprise, étudiants, professeurs et autres citoyens « éclairés ».
Il y a une chose qu’on ne pourra jamais enlever au Sénégalais, c’est une
exceptionnelle liberté d’expression.
Au Pays de
la Teranga, on adore discuter autour d’un tiep (riz au poisson) et critiquer
les puissants. Cette liberté s’est encore accrue sous les deux mandats de Wade
(2000-2012) avec la multiplication de radios privées à la langue bien pendue
et, plus récemment, de télévisions privées.
Qui sont venues appuyer un large éventail de journaux.
Ces médias
ont ces 20 dernières années conforté la place du Sénégal comme vitrine de la
démocratie sur le continent, surtout depuis les troubles qui ont déchiré le
voisin ivoirien pendant la décennie 2000.
Le Sénégal
est encore et toujours un des rares pays africains à ne pas avoir connu de
coups d’Etat depuis son indépendance. Et son armée républicaine sert sous le
drapeau de l’ONU dans de nombreuses missions de maintien de la paix en Afrique.
A Dakar,
Saint-Louis, Thiès, Tambacounda ou Ziguinchor, en allumant la radio chaque
matin, on doit se féliciter de la stabilité du pays lorsque tombent les
nouvelles en provenance des voisins maliens et bissau-guinéens…
Descendre dans la rue
Pour
défendre la démocratie, il faut descendre dans la rue, manifester contre les
bidouillages constitutionnels ou les scrutins volés. Les Sénégalais l’ont fait,
en faisant reculer en juin 2011 le régime Wade, tenté par une transmission du
pouvoir de père en fils.
Des
opposants l’ont même payé de leur vie, lors des manifestations anti-Wade avant
la présidentielle.
Dans
d’autres pays, le journaliste burkinabè Norbert Zongo et le militant congolais des droits de l’Homme
Floribert Chebaya ont été
assassinés pour leur engagement, leur combat pour plus de liberté. Mais à
Ouagadougou comme à Kinshasa, d’autres militants ont repris le flambeau. Pour
que la flamme de l’espoir ne s’éteigne jamais. Parce que l’avenir de l’Afrique
est d’abord et surtout aux mains des Africains.
Mais certains
progressistes, notamment au Maghreb, s’interrogent: pourquoi organiser des
élections démocratiques si c’est pour installer des islamistes au pouvoir,
comme en Tunisie et au Maroc?
Ces
inquiétudes peuvent paraître légitimes pour des citoyens attachés à la laïcité,
mais rien ne vaut des élections libres. Même si ce sont vos adversaires qui
remportent le scrutin. Il faut alors s’organiser comme contre-pouvoir, se
rassembler dans une opposition responsable et critique en attendant son tour.
Le prochain
test pour la démocratie africaine aura lieu dans un des pays les plus
importants du continent, l’Algérie.
Les
législatives du 10 mai diront si le Front de libération nationale (FLN),
solidement vissé au pouvoir depuis l’indépendance de 1962, conserve ou non sa
position dominante.
Et surtout
si le « printemps arabe » qui a soufflé sur les voisins tunisiens et
marocains atteindra la kasbah d’Alger.
Les coups
d’Etat militaires à Bamako et Bissau ne sont que des accidents de parcours. La
démocratie a toujours un avenir en Afrique.
Adrien Hart
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