jeudi 1 mars 2012

PRESIDENTIELLE SENEGALAISE : L’AFRIQUE DANS L’EXPECTATIVE


L’élection présidentielle du 26 février 2012 au Sénégal qui s’est déroulée dans des conditions globalement bonnes, mais qui a été précédée –pour la première fois dans un pays considéré en démocratie comme « le bon élève » de l’Afrique- par une campagne marquée par mort d’hommes, marquera à coup sûr les annales de l’histoire contemporaine du pays et même du continent africain.

Pour cette raison, Abdoulaye Wade (86 ans), le président sortant, au pouvoir depuis 2000 (7+5ans) et candidat à un autre quinquennat, était déjà entré dans l’Histoire. Depuis le premier président du Sénégal, Léopold Sédar Senghor en passant par Abdou Diouf, actuel Secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), -tous les deux issus du parti socialiste sénégalais (PS)-, Abdoulaye Wade, surnommé Le Lièvre par le président-poète, ou plus affectueusement Le Vieux par ses compatriotes, a été de tous les combats à la tête du PDS (parti démocratique sénégalais). Il a connu brimades et embastillements. Docteur d’Etat en économie, enseignant d’Université, dirigeant politique, tribun hors-pair, militant des droits de l’homme…, les qualificatifs ne manquent pas pour l’homme politique qui fait aujourd’hui la Une des journaux du Sénégal, de l’Afrique et même de l’ancienne puissance coloniale, la France.

Démocrate, il le fut jusqu’au bout des ongles. C’est Abdoulaye Wade qui, hier, se rendait en Libye pour convaincre –en vain- l’autocrate Mouammar Kadhafi de quitter pacifiquement le pouvoir et d’éviter un bain de sang. Il avait déclaré en substance : « Je suis probablement l’unique chef d’Etat africain capable de le faire parce que je ne dois rien à Kadhafi »… L’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo (réélu en 2003 pour un dernier mandat) avait tenté de s’éterniser au pouvoir en faisant modifier la Constitution de son pays. C’est le président Abdoulaye Wade qui a fait le déplacement de Lagos pour le convaincre –avec succès- de ne pas franchir le Rubicon.

Des dinosaures
Abdoulaye Wade fut souvent invité par les puissances occidentales à prendre part, avec quelques autres collègues africains (Afrique du Sud, Nigéria, Algérie, etc.), à des sommets internationaux comme le G20 ou le Forum de Davos… Donneur de leçons, le président Abdoulaye Wade devrait –modestement- accepter d’en recevoir. D’abord de ses propres compatriotes, les Sénégalais, les jeunes en particulier. Quand il fait modifier la Constitution de son pays pour se porter candidat à un mandat –de trop-, la jeunesse, la société civile et l’opposition démocratique ont crié leur ras-le-bol.

D’où la création, en particulier, du mouvement Y en a marre ! La rue a violemment opposé jeunes et forces de l’ordre avec des morts (six ?) au compteur. Une première pour un pays généralement jugé comme un havre de paix et/ou un pays sûr en Afrique, malgré l’existence du mouvement rebelle irrédentiste qui milite pour l’indépendance de la Casamance, du chef historique feu l’abbé Diamancoune Senghor. Excédée, même une star mondiale de la chanson et homme d’affaires prospère, Youssou Ndour, s’est lancé dans la bataille de la présidentielle avant de voir sa candidature invalidée par la Cour constitutionnelle. Les opposants du président Abdoulaye Wade au premier tour de la présidentielle (26 février 2012) sont des éléphants ou des dinosaures. Quelques exemples. (i) Moustapha Niasse, plusieurs fois Premier ministre, a travaillé avec les présidents Senghor –dont il dirigea le Cabinet-, Diouf et Wade.

Ce diplomate de haute lignée, bien introduit dans les pays du Golfe, possède un carnet d’adresses impressionnant et c’est l’une des grosses fortunes du Sénégal. Cette présidentielle dont le deuxième tour est fixé au dimanche 18 mars prochain sera assurément le dernier combat (politique) de la vie du leader de l’AFP (Alliance des forces du progrès). (ii) Ousmane Tanor Dieng est le patron du PS. Une sourde rivalité l’opposerait à Niasse depuis qu’il a pris les rênes du parti. (iii) Macky Sall et Idrissa Seck, anciens Premiers ministres et anciens caciques du PDS, étaient considérés comme des enfants naturels de Wade avant de claquer la porte et de rejoindre l’opposition. Le président Abdoulaye Wade est en effet connu pour sa propension à « user » ses Premiers ministres… (iv) Ibrahima Fall est un universitaire de renom et un diplomate de talent reconnu jusque dans les arènes de l’ONU.

Cet ancien Envoyé spécial du SG/NU dans les Grands Lacs africains s’est lancé dans la bataille probablement pour marquer un coup d’arrêt à la dérive monarchique d’Abdoulaye Wade… Ce juriste pense même que la modification de la Constitution par Wade –malgré l’assentiment de juristes occidentaux payés aux frais de la princesse- est anticonstitutionnelle… Si les tendances se confirment, les Sénégalais de devraient se rendre au second tour.

Pays de la Téranga

Abdoulaye Wade devrait être opposé à Macky Sall. Dans ce cas de figure, après des négociations qui seront extrêmement serrées, les poids lourds de l’opposition soutiendront le candidat commun. Ils deviendront alors des faiseurs de roi si les électeurs qui veulent le changement et l’alternance respectent les consignes de vote des chapelles politiques. Au lendemain du 18 mars, le candidat vaincu devrait s’incliner devant la volonté des Sénégalais. Le pays de La Téranga le mérite ! En 2000, des proches d’Abdou Diouf voulaient le convaincre de se proclamer vainqueur contre la voie des urnes. Ce qu’il refusa –tout à son honneur-, permettant ainsi à Abdoulaye Wade d’être le premier président sénégalais de l’alternance et du Sopi (changement). En 1999, Nelson R. Mandela se retira de la présidence sud-africaine à l’issue d’un seul mandat de cinq ans alors qu’il avait droit à un deuxième. A 85 ans, il décida de… cultiver son jardin.

Mais n’est pas Nelson Mandela qui veut !... La CEDEAO et l’UA ont mandaté Olusegun Obasanjo pour diriger une quarantaine d’observateurs (parlementaires, société civile, ambassadeurs africains à l’UA…). Mais également pour négocier avec Abdoulaye Wade une sortie honorable avant ou après les élections. Echec et mat sur ce point !... Sénégal, les yeux de l’Afrique et du monde sont résolument tournés vers toi !


Nicolas Ndagiyé