vendredi 13 avril 2012

Mali: le président intérimaire investi, l'Union africaine exprime sa "satisfaction"

Dioncounda Traoré a été investi jeudi comme président intérimaire au Mali et a d'emblée menacé d'une "guerre totale et implacable" les rebelles touareg et les groupes islamistes armés qui occupent tout le nord du pays.

Peu de temps après son investiture, les neuf responsables politiques maliens détenus à la suite du coup d'Etat militaire, dont cinq ex-ministres, ont été libérés.

L'Union africaine "a exprimé sa satisfaction" devant ce retour à l'ordre constitutionnel consacré à Bamako après le putsch du 22 mars contre le président Amadou Toumani Touré (ATT). Washington a également salué l'investiture de M. Traoré.

Mais la crise au Nord s'aggrave. Des ministres ouest-africains se sont retrouvés jeudi à Abidjan pour envisager l'envoi d'une force militaire régionale.

Le président français Nicolas Sarkozy a de son côté estimé vendredi qu'il fallait "tout faire" pour éviter que ne se forme un "Etat terroriste ou islamique" au Sahel, tout en excluant une intervention militaire française directe.

"Il faut tout faire pour éviter la constitution d'un Etat terroriste ou islamique au coeur du Sahel", a déclaré sur I-Télé M. Sarkozy. "Je ne pense pas que ce soit à la France" d'intervenir militairement, a-t-il ajouté, précisant toutefois que la France pouvait "aider" une telle opération.

Ex-président de l'Assemblée nationale, Dioncounda Traoré a prêté serment dans la matinée lors d'une cérémonie au Centre international de conférence de Bamako, devant plusieurs centaines de personnes.

Le chef de l'ex-junte, le capitaine Amadou Sanogo, en uniforme, était à ses côtés. Egalement présents: des représentants des institutions, des partis politiques et de la société civile, ainsi que des membres de la médiation de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao).

"Je jure devant Dieu et le peuple malien de préserver le régime républicain", de "respecter et faire respecter la Constitution" et "l'intégrité du territoire du Mali", a lancé solennellement le nouveau chef de l'Etat, sur une estrade aux couleurs vert-jaune-rouge du drapeau malien.

Des mots qui ont une résonance particulière alors que le Mali traverse sa plus grave crise depuis la prise du Nord il y a moins de deux semaines par des groupes armés.

"J'ai conscience d'être président d'un pays en guerre", a déclaré M. Traoré dans son discours.

Il a appelé "avec insistance" et "avec fermeté" les groupes armés à "rentrer dans les rangs", à "arrêter toutes ces exactions, ces pillages, ces viols", à quitter "pacifiquement les cités qu'ils ont occupées".

Bouter Al-Qaïda hors du Mali

Ils refusent, "nous n'hésiterons pas à mener une guerre totale et implacable" et à "bouter hors de nos frontières tous ces envahisseurs porteurs de désolation et de misère, que sont Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb islamique)" et ses "preneurs d'otages", ainsi que "tous ces trafiquants de drogue", a-t-il averti.

"Nous ne négocierons jamais la partition du Mali", a-t-il promis.

Les ministres des Affaires étrangères du G8 réunis à Washington se sont eux dits "profondément préoccupés" par la "détérioration de la situation" dans le nord du Mali, tandis que des ministres de la Cédéao ont rappelé "l'intangibilité des frontières" du pays.

Sur le plan politique, les responsables politiques détenus à la suite du putsch ont été libérés. Le capitaine Moussa Dindo, proche de la junte qui vient de transférer officiellement le pouvoir aux civils, a déclaré à l'AFP: ""Conformément à nos engagements, nous venons de libérer tous les détenus".

Les familles de deux détenus ont confirmé ces propos.

Ces personnalités et anciens ministres du régime déchu d'Amadou Toumani Touré, parmi lesquels celui des Affaires étrangères, Soumeylou Boubèye Maïga, et le maire du district de Bamako, Adama Sangaré, étaient détenus au camp militaire de Kati, près de Bamako, quartier général des putschistes.

Le président par interim doit de son côté nommer un Premier ministre doté des "pleins pouvoirs" et former un gouvernement d'"union nationale", auquel pourraient participer des membres de l'ancienne junte, selon la médiation.

Les "modalités" de la transition, dont la durée reste inconnue, doivent être définies lors d'une réunion ce week-end à Ouagadougou entre le président burkinabè Blaise Compaoré, médiateur nommé par la Cédéao, et la classe politique et les ex-putschistes.

A Abidjan, des ministres des Affaires étrangères et de la Défense de la Cédéao étaient réunis pour réfléchir à l'envoi d'une éventuelle force militaire régionale au Nord.

Le Nord est entre les mains des rebelles touareg du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), de groupes islamistes armés, Ansar Dine en particulier, qui est appuyé par Aqmi, de trafiquants et de divers groupes criminels, plongeant dans l'inquiétude toute l'Afrique de l'Ouest.

La situation humanitaire est chaque jour plus alarmante.

"A moins de progrès rapides dans les prochains jours pour ouvrir un espace humanitaire et permettre des approvisionnements en nourriture et médicaments dans le nord du Mali, il y aura une catastrophe humanitaire majeure qui pourrait se répercuter sur les pays voisins", a averti la Commission européenne.

De Genève, la Haut Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, Navi Pillay, s'est déclarée "vivement préoccupée par les rapports ininterrompus faisant état de graves violations de droits de l'homme" dans le Nord, mentionnant "des civils tués, dépouillés, violés et forcés de fuir" ainsi que des pillages, un exode de populations et des "tensions accrues entre groupes ethniques".

Et les islamistes d'Ansar Dine ont pris le contrôle du plus important centre de manuscrits historiques de Tombouctou (nord-ouest du Mali), classé au patrimoine mondial de l'Unesco, selon des sources concordantes.

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Les deux Soudans en guerre larvée pour le pétrole

Des combats ont éclaté ces derniers jours dans plusieurs zones contestées où se concentrent d'importantes réserves de brut.

Les deux Soudans sont en guerre. Une guerre encore larvée mais une guerre tout de même. Les discours martiaux des dirigeants du Soudan du nord et ceux du Sud, indépendant de son frère ennemi seulement depuis juillet, ne trompent pas. Jeudi, à Khartoum, le président Omar el-Béchir a accusé son voisin d'avoir «choisi la voie de la guerre». Peu avant à Juba, devant un Parlement surchauffé, son homologue sudiste, Salva Kiir, avait affirmé qu'il tiendrait bon et «qu'il ne donnerait pas l'ordre à (ses) forces de se retirer» des zones contestées.

Les deux pays n'en sont pas restés aux mots. Depuis trois jours des combats opposent les deux armées, les plus violents des derniers mois, et impliquent l'artillerie lourde et l'aviation. Mardi, les troupes du Sud se sont emparées, pour la seconde fois en quinze jours, d'Heglig. Cette ville, officiellement située au nord, ouvre la porte des champs pétroliers du même nom. Une occupation pour le moins étonnante, les troupes du nord étant réputées être à la fois plus nombreuses et mieux équipées. L'armée de Khartoum, active sur de nombreux fronts tant au sud qu'au Darfour, a peut-être besoin de temps pour contre-attaquer. En attendant, l'aviation, en guise de réponse, aurait bombardé jeudi Bentiu, la capitale de l'État sudiste de Unity. Ce raid, le premier de ce type depuis la fin de vingt ans de guerre civile en 2005, visait une zone pétrolière, sudiste cette fois.

Le partage de la manne pétrolière est le cœur de cette crise. En accédant à l'indépendance, le Sud est devenu maître d'environ 75 % des réserves de brut de l'ex-Soudan. Mais la frontière entre les deux pays n'a jamais été précisément tracée, pas plus que n'a été réglée la question des droits de passage. Pour exporter son pétrole, le Sud, État enclavé, doit en effet utiliser des oléoducs qui traversent le Nord. En dépit de cinq ans de négociations molles, ces deux dossiers, qui s'ajoutent à d'autres contentieux portant notamment sur la nationalité, n'ont jamais connu de début de solution.

Référendum à venir

Jeudi, la crise s'est envenimée en se déplaçant vers Abyei, une enclave hautement contestée. Ce territoire, riche en brut mais aussi en eau et en pâturage, fait théoriquement l'objet d'un sort à part. Un référendum doit y être organisé pour laisser le choix aux habitants de se lier à l'un ou à l'autre des Soudans. Or Khartoum et Juba s'opposent sur la constitution du corps électoral. Jeudi, la capitale du Sud a donc affirmé être prête à une intervention militaire à Abyei pour en chasser les troupes nordistes. Une menace bien pesée. Dans la foulée, Salva Kiir s'est dit prêt à retirer ses hommes d'Helgig si le nord fait de même à Abyei.

Cette proposition a peu de chances de se concrétiser. Les autres tentatives de médiations organisées par l'Union africaine (UA) pour renouer les discussions ont échoué, avant même d'avoir pu s'ouvrir. Les deux pays, qui n'ont aucun intérêt à une guerre, semblent en fait chercher à se placer en position de force pour de futurs pourparlers. Jeudi, la chef de la diplomatie de l'Union européenne (UE), Catherine Ashton, s'est faite plus menaçante, jugeant «inacceptable» l'occupation d'Heglig après des appels similaires de l'ONU et de l'UA.



Par Tanguy Berthemet