vendredi 28 octobre 2011

Egypte: une armée critiquée, des islamistes favoris (L'Express 28/10/2011)

Au Caire, depuis la chute d'Hosni Moubarak, les militaires gèrent les affaires courantes. Des élections législatives sont prévues à partir du 28 novembre prochain. Selon les premiers sondages, les islamistes devraient remporter le scrutin.

Sa légitimité s'affaiblit au fil des mois. Le Conseil suprême des forces armées, présidé par le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui, au pouvoir depuis la démission d'Hosni Moubarak, a tendance à "céder" face aux mobilisations populaires.

"L'armée égyptienne a été contrainte de virer Moubarak, président pendant près de trente ans, mais aussi de changer de gouvernement et d'organiser le procès de l'ancien chef d'Etat, souligne Alain Gresh, directeur adjoint du Monde diplomatique et spécialiste du monde arabe. Ce n'était pas son premier choix." Au pouvoir, les militaires ont, en effet, découvert les vertus du pragmatisme.

Par exemple, sur le mode de scrutin pour les élections législatives, prévues entre fin novembre et début mars 2012. Plusieurs partis politiques, dont les Frères musulmans, avaient critiqué une loi qui prévoyait un système mixte entre scrutin proportionnel et uninominal réservé aux indépendants. Ils redoutaient que ce système favorise le retour aux affaires d'anciens membres du régime Moubarak.

Au final, seul un tiers des députés sera élu au scrutin uninominal; les autres, à la proportionnelle. Par ailleurs, les dirigeants de l'ancien parti officiel, le Parti national démocrate [PND], dissous depuis, pourraient se voir interdire le droits de se présenter.

Recrudescence des violences communautaires

Outre la dissolution du parti unique, Alain Gresh évoque, comme "avancée démocratique", la création de syndicats libres et le procès d'anciens responsables. Les généraux ont promis de ne présenter aucun candidat à l'élection présidentielle, censée se tenir vers la fin de l'année 2012, et de rendre le pouvoir aux civils après les législatives. "Mais rien n'est moins sûr", glisse Alain Gresh. Ils ne géraient pas les affaires pendant 'le règne du raïs' mais certains cadres des services de renseignement et des gouverneurs, ainsi que des chefs d'entreprises publiques sont issus de leurs rangs.

Instaurer la stabilité en Egypte figure parmi les objectifs déclarés de l'armée. Or, les affrontements, survenues le 10 octobre au Caire entre les forces de l'ordre et des coptes, qui ont fait près de 24 morts et 213 blessés, ont surpris. Face à la recrudescence des violences communautaires depuis la chute de Moubarak, le pouvoir militaire est montré du doigt pour sa lenteur de réaction...

Dans ses conditions, faut-il craindre une large victoire des islamistes? Une dizaine de formations, des salafistes aux libéraux, sont en lice pour les prochaines élections législatives. C'est pourtant le Parti de la liberté et de la justice, issus des Frères musulmans égyptiens, qui devrait remporter le scrutin.

"Défaite relative" des islamistes

"Il est difficile de faire un pronostic, nuance Alain Gresh, mais les islamistes restent une composante politique majeure". En 2005, déjà, sous la bannière des indépendants, ils avaient remporté 20% des sièges.

"Certains, à la base du parti, veulent le changement", souligne le journaliste. Les militants islamistes mènent ainsi des actions d'aide aux plus défavorisés. Populaires dans les mosquées, ils prônent aussi le respect de la charia - "le Coran est notre loi", clament-ils - mais "cela reste flou", glisse Alain Gresh. Et selon lui, le blasphème, par exemple, ne pourrait être accepté par leurs électeurs.

Par ailleurs, la confrérie égyptienne vient de subir "une défaite relative" - dixit le directeur adjoint du Monde diplomatique - lors des récentes élections des représentants du syndicat des médecins: au sein des instances régionales, les candidats indépendants ont souvent remporté la majorité des sièges.

Une chose est sûre, conclut Alain Gresh, la participation citoyenne sera importante, comme lors des élections de l'Assemblée constituante en Tunisie.


Par Philippe Lesaffre

Fin de l'opération de l'Otan

Malgré les demandes de prolongation du Conseil national de transition, l'ONU met fin à l'intervention de l'Otan au 1er novembre.

Le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté, hier, à l'unanimité, une résolution qui met fin au mandat autorisant le recours à la force en Libye, malgré les appels du gouvernement de transition.

Mercredi, le Conseil national de transition (CNT) avait demandé le maintien des forces armées dans le pays au moins « jusqu'à la fin de l'année », craignant des représailles des derniers fidèles de Mouammar Kadhafi. Il a déclaré la « libération » formelle du pays le dimanche 23 octobre, trois jours après la mort de l'ex-dirigeant libyen.

Sept mois après le début de l'intervention contre le régime de Kadhafi, la résolution met fin à la zone d'exclusion aérienne et à l'autorisation du recours à la force pour protéger les civils, à compter du 1er novembre. Elle allège également l'embargo international sur les armes, afin que le CNT puisse en acquérir pour assurer la sécurité nationale.

Par ailleurs, cette décision met fin au gel des avoirs de la compagnie nationale du pétrole, la Zueitina Oil Company, de même qu'aux restrictions visant la banque centrale, la Libyan Arab Foreign Bank, la Libyan Investment Authority et le fonds d'investissement Libyan-African Investment Portfolio.

Le feu vert du Conseil de sécurité de l'ONU, en février et en mars, pour une zone d'exclusion militaire et des frappes aériennes, avait divisé les 15 pays membres. La Russie, la Chine, l'Afrique du Sud, le Brésil et l'Inde avaient accusé l'Otan d'outrepasser le mandat qui lui avait été donné.

L'Otan, qui avait pris en charge les opérations militaires, doit se réunir aujourd'hui à Bruxelles pour déclarer officiellement la fin des frappes aériennes. Elle a indiqué qu'elle chercherait de nouvelles voies pour aider le CNT dans le domaine de la sécurité.

Une période transitoire
Dans sa résolution, le Conseil réitère la nécessité d'une période de transition « orientée vers l'engagement à la démocratie, la bonne gouvernance, l'exercice de la loi, la réconciliation nationale et le respect des droits de l'homme et les libertés fondamentales du peuple de Libye ». De son côté, Alain Juppé avait estimé, mercredi, qu'il fallait trouver « une autre façon d'accompagner la transition » en Libye.

L'ambassadeur de France à l'ONU, Gérard Araud, a exprimé la « fierté » de son pays pour avoir pris part aux opérations. « Il s'agissait de la libération de la Libye avec le soutien de tous les pays qui voulaient être partie prenante à cette expérience magnifique », a-t-il dit. L'ambassadrice américaine Susan Rice a, quant à elle, parlé d'« une perspective d'une Libye libre et participative avec la participation de tout le peuple, quels que soient le sexe et la religion ».

Sans référence explicite aux conditions floues de la mort du colonel Kadhafi, les Quinze « exhortent les autorités libyennes à se garder de toutes représailles, y compris les détentions arbitraires (et) les exécutions extrajudiciaires ».

Tunisie : Ennahda devient la première force politique du pays (Le Monde 28/10/2011)

Le parti Ennahda a remporté les élections en Tunisie avec 41,70 % des voix et obtient 90 sièges sur les 217 sièges de la future Assemblée constituante, selon les résultats définitifs publiés, jeudi 27 octobre, par l'Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE). Les islamistes, qui avaient déjà revendiqué la victoire, deviennent de loin la première formation politique du pays. Ils sont suivis du Congrès pour la république (CPR) de Moncef Marzouki (13,82 % des voix), qui obtient 30 sièges. En troisième position, le parti de gauche Ettakatol (9,68 %) obtient 21 sièges.

La surprise vient des listes Al-Aridah Chaabia, conduites par l'homme d'affaires Hechmi Haamdi, avec 8,19 % des voix et 19 sièges à l'Assemblée. L'ISIE a pourtant invalidé les listes d'Al-Aridah dans six circonscriptions, à Sidi Bouzid, Tatatouine, Sfax, Kasserine, Jendoub et dans la circonscription France-2. Les autorités électorales évoquent notamment "des irrégularités de financement". L'annonce des invalidations a provoqué des heurts dans la ville de Sidi Bouzid, où est né le soulèvement qui a renversé l'ancien président Ben Ali.

Viennent ensuite le Parti démocrate progressiste (PDP) – 7,86 % des voix et 17 sièges – la coalition de gauche du Pôle démocratique moderniste (PDM) – 5 sièges – et l'Initiative, parti dirigé par Kamel Morjane, ex-ministre de Ben Ali, avec 5 sièges.

LE TEMPS DES ALLIANCES

Les résultats définitifs ont tardé à être publiés, et les autorités tunisiennes peuvent désormais s'atteler à la formation du nouveau gouvernement. L'Assemblée constituante sera chargée de former ce nouveau gouvernement et de rédiger la nouvelle Constitution, avant des élections législatives et présidentielle qui devraient intervenir dans un délai d'un an environ.

Avant même la publication des résultats définitifs, Ennahda, qui revendiquait la victoire, avait tendu la main aux partis laïques de centre-gauche qui, selon les estimations, arrivaient derrière lui. Moncef Marzouki du CPR a indiqué cette semaine qu'il était prêt à participer à "un gouvernement de coalition le plus large, dès que possible". Le chef d'Ettakatol, Mustapha Ben Jaafar, a également confirmé l'ouverture de discussions avec les islamistes d'Ennahda.

Les discussions portent notamment sur la désignation du prochain président de la République provisoire, étant entendu qu'Ennahda revendique depuis le début le poste de chef de gouvernement pour leur numéro deux, Hamadi Jebali.

"CONSENSUS"

M. Jebali avait en revanche exclu toute alliance avec Hachmi Hamdi, homme surprise du scrutin. Ennahda lui reproche notamment d'être soutenu par des nostalgiques du RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique), le parti de Ben Ali. Sa chaîne basée à Londre, Al-Mostakilla, est accusée d'avoir adopté ces dernières années une ligne éditoriale favorable à l'ancien autocrate.

Pour dissiper la vive appréhension que suscite sa prochaine accession au pouvoir, Ennahda multiplie les déclarations selon lesquelles la future Constitution ne pourra voir le jour "sans un consensus avec les partis et les partenaires qui y sont représentés". Il n'est pas question, pa martelé Hamadi Jebali, d'"imposer une Constitution (...) qui abroge certaines libertés comme la liberté de croyance, les libertés individuelles, la situation juridique de la femme et sa place dans la société", un des acquis de l'indépendance tunisienne.
 
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