jeudi 15 mars 2012

PRESIDENTS-MINISTRES: une nouvelle tendance africaine

Le portefeuille de la Défense dans un gouvernement est stratégique. Cela est évident même dans les pays à démocratie très avancée. L’enjeu de ce département ministériel est encore plus remarquable en Afrique où la construction des républiques est en plein chantier. Le processus de démocratisation y est titubant et son rythme va au gré de l’humeur ou des désidératas des armées encore en phase d’adaptation.

Les hommes en treillis sont donc le plus souvent à la base des chutes de pouvoirs qui se veulent démocratiques ou qui se considèrent comme tels. Les grandes muettes africaines n’hésitent en effet pas à profiter d’un malentendu entre dignitaires des systèmes ou d’une instabilité quelconque pour s’emparer du pouvoir. C’est sans doute pour se prémunir contre ces désagréables surprises que bien des chefs d’Etat du continent noir préfèrent confier le département de la Défense à un proche et fidèle ami, mieux, à un frère, un cousin ou autre parent par alliance. Certaines têtes couronnées africaines, sans doute volontairement séduites par l’adage qui dit que l’on n’est jamais trop prudent, optent de ne faire confiance qu’à elles-mêmes.

Elles s’adjugent ainsi la fonction de ministre de la Défense, qu’elles assument cumulativement avec celle de chef de l’Etat avec tous les corollaires qui l’accompagnent. C’est ainsi qu’en Guinée Conakry, au Burkina Faso et tout récemment en Côte d’Ivoire, les présidents Alpha Condé, Blaise Compaoré et Alassane Dramane Ouattara (ADO) cumulent les nombreuses fonctions de Président de la République, président du Conseil supérieur de la magistrature, président du Conseil des ministres, chef suprême des armées et ministre de la Défense.

Les contextes post-crises marqués par des velléités de contestations, de révoltes et de manifestations déterminées et violentes dont l’issue est parfois difficile à pronostiquer, y sont probablement pour quelque chose dans cette propension des chefs d’Etat à s’octroyer des pouvoirs exorbitants. Certes, une approche qui se voudrait provisoire et qui permettrait juste au nouvel homme fort du pays de remettre de l’ordre dans les institutions, pourrait à la limite être tolérable parce que tout de même raisonnable. Mais quand le circonstanciel tend à se pérenniser au point de devenir permanent, il y a quand même de quoi s’inquiéter pour la bonne marche de l’Etat de droit.

Cette nouvelle tendance bien africaine qui fait des présidents des ministres qui sont pourtant censés être nommés par des Premiers ministres eux-mêmes nommés par les chefs d’Etat, manque d’élégance démocratique, de logique et de finesse politique. Elle favorise l’apparition d’une nouvelle race de chefs d’Etat à multiples casquettes. Ces derniers auront du mal à convaincre de leur bonne intention en arguant du caractère stratégique et souverain du ministère de la Défense. D’autres portefeuilles comme ceux de la diplomatie, de la sécurité, du budget et surtout de l’agriculture pour des pays africains sont tout autant primordiaux.

Ceux-ci ne sont pas non plus dépourvus de souveraineté ni de stratégie dans la mesure où aucune indépendance militaire ne peut s’exercer sans une autodétermination alimentaire, sécuritaire et diplomatique, pour ne retenir que ces exemples. Cette évolution implicite d’un régime à dominance présidentielle vers un présidentialisme qui ne dit pas son nom est encore une de ces nombreuses spécificités africaines qui confinent à une incongruité qui s’écarte de la norme universelle. La tendance actuelle dans le monde est à la séparation réelle des pouvoirs et au renforcement des institutions républicaines.

Une évolution positive d’ensemble qui s’accommode mal à la subordination et la concentration de pouvoirs dans les mains d’une seule personne, eût-elle reçu l’onction du peuple. Une pratique qui contribue d’ailleurs à tirer la démocratie vers le bas en ramant à contre-courant du bienfaisant vent du changement qui a enfin commencé à souffler sur les côtes africaines. Cette trop grande prudence dont font montre les présidents-ministres d’aujourd’hui est en outre symptomatique d’une crise de confiance qui prévaut entre eux et leur entourage d’une part et entre eux et le peuple d’autre part.

Un manque de confiance qui ne favorise pas l’avènement d’une bonne gouvernance en Afrique et qu’il faut travailler à restaurer. L’une des promesses de campagne d’ADO est pourtant celle de faire de la séparation véritable des pouvoirs son principe de gouvernance. Aussi avait-il promis, une fois élu, de se délester de sa prérogative de président du Conseil supérieur de la magistrature au profit d’une personnalité qui serait libre parce qu’élue par ses collègues magistrats et non nommée par qui que ce soit.

Le président ivoirien est sans doute plus préoccupé par la réconciliation et la mise en place des structures étatiques. Toutefois, il ne doit pas perdre de vue que le bon fonctionnement des institutions, occupe une place de choix dans la reconstruction d’un pays. Si, une fois son pays stabilisé, il avait le sage réflexe de confier le portefeuille de la Défense à un ministre avec pleins pouvoirs, il aurait montré à ses « aînés » la voie à suivre.



« Le Pays »

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